2006 - Fumito Ueda, rencontre avec un poète numérique
Les jeux qui parviennent à émouvoir sont trop rares à mon goût. Si 2004 est l’année où j’ai pris pleinement conscience du pouvoir du jeu vidéo en tant que média culturel, 2006 est pour moi celle de la découverte de ses artistes les plus intimes. En jouant à Ico et à Shadow of Colossus, je découvre deux grandes oeuvres d'auteur. Des sentiments forts s‘emparent de moi, puis je fais la connaissance d’un concepteur atypique, d’un véritable poète qui arrive à cerner le potentiel émotionnel et narratif du jeu vidéo. Je découvre Ico de Fumito Ueda un peu au hasard et le choc est brutal.
Un vrai coup de foudre pour cet univers onirique. Le mélange de sculptures ancestrales et de nature timide me plonge dans un abime de rêverie romantique. Chaque pas est un émerveillement plus grand que celui qui le précède, chaque nouvel espace un tableau que j’admire religieusement. L‘absence de vie, de mouvement, le silence apaisant, le bruit sourd des mécanismes que j’active pour avancer sont autant d’éléments suggestifs qui insistent sur la portée tragique et la tonalité existentielle de l’aventure. Ico est un jeune garçon né avec d’étranges cornes qui se voit confiné par son propre peuple dans un immense temple abandonné à l’ambiance macabre. Les rouages du destin se mettent en marche lorsqu'il parvient à se libérer miraculeusement de son tombeau. Commence alors le début d’une grande histoire entre lui et Yorda, jeune fille au teint diaphane, d'une blancheur irréelle, elle aussi prisonnière mais pour des raisons bien différentes...
Un duo efficace et complémentaire : la bravoure et la témérité du garçon et les pouvoirs mystiques de la fille sont les clés pour échapper à leur funeste destin, au travers de dédales démesurés à l’architecture mythique et à la mécanique complexe. Entre casse têtes labyrinthiques et combats inégales contre des ombres chimériques, Ico doit absolument tout faire pour protéger Yorda et ainsi trouver leur place dans ce monde.
Malgré un parcours très segmenté, la sensation d’envolée lyrique, de nostalgie est intense.
Que ce soit à travers les mouvements de caméra étudiés ou la discrétion de la bande sonore, le joueur ressent pleinement ce mélange de tourmente et d‘innocence. Entre quête intérieur et menace perpétuel, la narration se dessine naturellement par le biais du fragile équilibre entre les deux enfants, dans leur relation de survie et d’attirance mutuel. La touche R1 en est le parfait exemple, le joueur doit constamment la maintenir appuyé pour tenir la main de la jeune fille. Un geste qui symbolise parfaitement toute l’inquiétude et la tension qui s’empare du joueur au fil de l'aventure.
Je me rends compte que je n’ai même pas abordé le deuxième opus, Shadow of the Colossus, le vrai jeu de 2006 à mes yeux. Je me suis laissé embarquer par ICO que j'ai découvert la même année. Ma première poésie vidéoludique, un vrai régal.